L'automne battait son plein 5 et fin
S’il
faut que nous vivions ce genre d’expérience pour réussir dans la vie, j’aurai
toujours un goût amer. La fin de l’automne était proche, et je m’en rendais
compte, les feuilles multicolores d’il y a quelques semaines étaient à présent
par terre, toutes, certaines dans des sacs, soufflées puis aspirées par des
cosmonautes du parterre, d’autres s’étaient envolées un peu pour retomber chez
le voisin, quelques unes étaient déjà en décomposition mélangées à un peu de
pluie d’hier, et de terre d’antan. Une autre semblait avoir voyagé sous la
chaussure d’un passant. J’en enlevai une coincée vers l’essuie glace gauche,
elle avait dû tomber cette nuit. J’avais froid malgré ma veste. Le ciel était
tellement glacé que le vent semblait bleu. Il était 13h55, je venais de glisser
quelques dernières consignes à mon assistante en lui disant qu’elle pouvait me
joindre à tout moment sur mon téléphone portable professionnel… Je faisais à
présent tout pour me rendre important et crédible aux yeux de tous, je trouvais
ça ridicule, seulement c’était obligatoire pour progresser dans le théâtre de
la carrière professionnelle. En même temps, j’en avais tellement rien à faire, à
moins que je n’eus été en train de me prendre au jeu. Je partais de Lyon Saint
Exupéry pour Toulouse, puis Lannemezan demain matin. L’hôtel était minable,
oui, je devenais difficile. La route était magnifique, oui, je commençai à
aimer les déplacements professionnels ! Au restaurant, le soir, j’avais
pris un gros menu, je n’avais pas tellement faim, mais je pouvais faire une
note de frais, sauf qu’ils me refusèrent la carte American Express, je dus
faire l’avance avec ma visa… d’ailleurs je me disais qu’une Gold MasterCard
serait plus appropriée à ma vie actuelle. Chez Hertz, au moment de louer une
voiture, ils me dirent de prendre la carte Gold Hertz qui devait être gratuite
pour moi, comme ça, ça m’évitait de faire la queue. En parlant de carte,
j’avais pris un paquet de fois l’avion, je pourrais sûrement prendre la carte
Air-France pour avoir des points pour pouvoir me faire des voyages personnels
moins chers. Au péage de Lannemezan après une nuit dans cet hôtel approximatif
et une heure dix de route, ils me refusèrent ma carte également ;
décidément, quel pays non-civilisé ! Ce matin à 9h, à l’entrée de l’usine,
j’étais fier avec mon casque de chantier et mon cahier, je parlais fort et
distinctement. Un peu plus tard j’exigeai un câble réseau pour me connecter.
Le fournisseur nous paya, à Daniel Eric et moi, un restaurant sympathique.
Merci, enfin, bon, c’est normal, c’est un fournisseur. Je repartais au bout
d’un jour et demi vers Lyon, pressé. Je déposai ma valise au pied de l’avion
pour ne pas avoir à attendre le tapis roulant comme tout le monde, je ne suis
pas un touriste, je commence à avoir l’habitude. Quand l’hôtesse me dit : « place
12A au milieu à droite », je lui répondis « Merci » avec dédain
en me demandant pourquoi elle disait toujours ça alors que c’est écrit. Je
lisais « Le Monde » au décollage. Je demandai à l’hôtesse si je
pouvais avoir un café en plus d’un jus d’orange. Sans presque en avoir envie.
Je rallumai mes deux téléphones portables, j’avais un message, un mms, le ciel
froid sur la Bastille, suivi de quelques bisous bleus lumineux. Je revins à la
réalité grâce à ces mots simples. Je me dégoutais, j’étais presque de
droite ! J’étais presque dans le moule, j’étais presque blasé et déjà con.
L’automne méritait bien une pause et moi aussi et surtout un retour très
intensif auprès des gens normaux, pour qui le bonheur consiste en quelques
bisous, une jolie lumière, une petite chanson, même trop entendue, j’avais
besoin de mes amis et de ma famille. Cette secte industrielle n’en finissait
pas de tenter de m’arracher et de me clonifier aux autres, voire de me
numériser, je ne sais pas en quoi ça consiste mais c’est surement approprié. La
fin de l’automne battait son plein. Non, je ne serai jamais crédible, je le
jure ! En tout cas pas avant l’hiver…