L'automne battait son plein 4
S’il
faut que nous vivions ce genre d’expérience pour réussir dans la vie, j’aurai
toujours un goût amer. Le goût amer, il était là dans ma gorge, la morve
immonde qui avait suinté de mon nez pendant mon sommeil et qui se retrouvait
dans ma bouche après une grosse quinte de toux, à 7 heures du matin, un
dimanche. Je cherchais dans un demi-sommeil un mouchoir pour cracher ces
glaires infectes en prenant bien soin de balancer le mouchoir loin pour ne pas
m’y moucher plus tard par inadvertance… L’horreur ! Je relevais mon
oreiller pour m’asseoir un peu. Ne pouvant toujours pas respirer et ayant un
mal de tête lancinant et la gorge en feu d’un concert enrhumé, je décidais cinq
minutes plus tard, de me faire un thé au citron, avec du miel et un bon gros
cachet de paracétamol associé à un principe actif étudié spécialement pour le
rhume ! Cela me permit de me rendormir jusqu'à onze heures et demie, heure
à laquelle j’avais décidé la veille de partir chercher du réconfort auprès de
mes parents. Ils en avaient fait des efforts et le réconfort était total. Du
veau aux pleurotes, du taboulé fait maison, un crumble aux fruits de saison… Et
une écoute attentive à toutes mes plaintes exagérées. J’étais juste très
frustré de ne pas complètement sentir les goûts, ou gouter les odeurs, je ne
sais pas trop. Ma mère me conseilla vue ma tête, de prendre un remède de cheval
à base de cortisone, ce que je fis et qui me permit de passer les trois jours
suivants la tête un peu plus proche de la planète terre. Je fonçais ensuite chez moi pour faire ma
valise. Pour deux jours, deux caleçons, peut être que je mettrai le même deux
jours de suite… deux chemises, idem, un pantalon plus celui que j’ai sur moi,
deux livres, quelques médicaments, du deo, du parfum, du dentifrice, une brosse.
Le gel douche, je prendrai celui de l’hôtel, les serviettes aussi. Mon appareil
photo, mon PC portable, mes documents, ma carte d’identités, ma carte American
Express du boulot, ma Visa. J’étais prêt, et c’était l’heure. Je loupais ainsi
l’occasion d’un super gouter à base de crêpes entre amis. Et aussi l’occasion
d’aller voir une petite Lionne au nord de Grenoble.
Je devais foncer à la gare
pour prendre une voiture de location (et non pas un train, ce n’est pas logique
mais c’est comme ça). Le 11 novembre, 315eme jour de l’année sauf en cas
d’année bissextile, où c’est le 316eme normal, vous me suivez ? Et donc
cinquante jours seulement avant la fin de l’année. On fête chaque année sans
s’en rendre compte vraiment la fin d’un drame qui tua une ville comme Paris
d’aujourd’hui. Neuf millions de mort en quatre ans. Mais moi je m’en foutais à
ce moment là, je partais pour Toulouse. J’entendais en plus à la radio que
Nicolas Sarkozy faisait sa pub avec un discours mélodramatique comme tout le
monde est capable d’en cracher : «En
nous souvenant, nous célébrons l’avenir, un avenir de paix et de fraternité
entre les nations, un avenir de compréhension et de solidarité entre les
peuples. Cet avenir, nous lui avons donné le nom d’Europe» Qu’est ce que
c’est beau ! Sans doute à cause de
mon dimanche un peu spécial, je sortais de ma torpeur d’un coup et je devenais
critique tout seul dans ma voiture sur le chemin du world Trade center de
Grenoble Waouh: Mon cul la construction Européenne, c’est une machine à faire
du fric pour les riches ! Tiens, d’où sort cette phrase de comptoir ? Oui
j’en fais partie des riches, sûrement, mais quand même, ça me débecte. Vivement
les grèves, le bordel, ‘mai 68 revival’. Je me sens vieux déjà. Je pense aux
jeunes qui devraient se soulever, qui devraient taper du poing pour dire que la
vie actuelle n’a aucun sens parce que c’est vrai, elle est complètement
artificielle et virtuelle. Comme si le nord, les pays riches, étaient pris de
bouffées délirantes et que les pilules au lithium n’arrangeaient rien. Comme un
débile, le monde dans un monde virtuel, sans humain et sans la planète, où seul
l’argent, la croissance, la valeur et le travail pour rien, en étaient les
acteurs ; et l’homme au milieu de cette grosse machine lancée sans
pilotage ne s’apercevait de rien et continuait à vivre de drogue et de
recherche du bonheur permanent, et de la quête du graal aussi. J’arrivais à
l’hôtel où l’on récupère les voitures de location les dimanches et jours féries,
près de la gare. L’hôtesse aussi belle que son parfum puissant me demanda avec
sourire l’objet de ma venue.
- J’ai
une voiture réservée à mon nom !
-
Hertz ou Europcar ?
-
Hertz
- Votre nom bla bla bla…
Une
fois les clefs en main je descendais au troisième sous sol comme d’habitude,
prenais la voiture neuve sans option et au moteur ultra pas puissant et partais
sur la route du petit prince, à l’Aéroport de Lyon. Voilà, 16h30 mon dimanche
était fini, j’étais au boulot. C’est quand même bien les déplacements, ça
change, mais j’avoue que là, c’était hard.
L’aéroport
était désespérément vide, des halls entiers déserts. Devant la porte N°4 deux
filles pleuraient dans les bras d’hommes. C’était touchant, j’étais presque
jaloux de ne pas pouvoir pleurer dans les bras d’une jolie fille. Je me
laissais rêver à un départ pour de long mois, à la Santiano et Margot.
Hugues Aufray me hantait toujours lors du contrôle des bagages à mains. Je
détachais ma ceinture par anticipation, sortait mon PC portable de sa housse et
dans ma tête : Hisse et Ho !
Bip, la porte sonna quand même ce qui me permit de me faire tâter de toutes
parts par un gros contrôleur au métier plus que rébarbatif. Je récupérais enfin
mes affaires avant de rejoindre à l’autre bout de l’aéroport la porte
d’embarquement 24J c’était loin. « Un
jour je reviendrais chargé de cadeaux hisse et ho ! Santiano ».
J’entrais enfin dans
l’appareil, stupeur, l’hôtesse était un Stewart, il me fit un grand sourire
suivi d’un très sympathique et pompeux « bonjour ». Je n’étais pas
plus emballé que ça. Je pris Le Monde et L’humanité pour lire pendant le
décollage, pour montrer aux gens que j’ai l’habitude de prendre l’avion et que
ma foi, un décollage c’est la routine pour moi. C’est très con, mais ça me fait
rire d’avoir la winner attitude de temps en temps. «Que désirez-vous
monsieur » dit la voix suave du Stewart que le pilote venait de traiter
d’hôtesse. Je me gausse. L’avion entamait sa descente vers Toulouse Blagnac et
j’entamais mes biscuits salés après m’être mouché dans la serviette en papier
au nom d’air France. Il ne me restait plus qu’un mouchoir en papier, c’était
terrible et ça me faisait stresser beaucoup plus que l’étude de faisabilité qui
se tramait le lendemain.
Après une nuit sur un matelas mou et dans une chambre
minable à 80€ la nuit, je sautais dans la douche puis dans mon pantalon pour
descendre au petit déjeuner. A l’hôtel, j’aime les petits déj’. Je ne mange pas
le matin habituellement, mais là tout est prêt et tout est bon, rien à voir
avec le pauvre bol de céréales que je pourrais potentiellement prendre chez
moi. A l’hôtel le petit déj’ c’est le paradis, des viennoiseries, des fruits,
des confitures, de la charcuterie, du café prêt tout de suite. L’heure tournait
et je décidais de ne pas reprendre de croissant. Michel m’avait dit qu’il
fallait une heure pour aller à Lannemezan. Mon plan issu d’internet indiquait
une heure quarante. Je faisais confiance à Michel, je partais à sept heures en
espérant arriver à huit. A Lannemezan, vers huit heures, je fis appeler Daniel,
que je n’avais jamais rencontré auparavant mais que je tutoyais pour être
crédible et supérieur. Je n’aimais pas ça être crédible et supérieur, mais
j’avais appris qu’il fallait l’être, et j’avais appris que dans le monde de
l’Entreprise, il fallait faire exactement le contraire de ce qu’on m’avait
toujours appris. Décidément je n’étais pas fait pour ça. En plus j’étais
enrhumé et fatigué, et comble de tout, en bleu de travail avec des chaussures
de sécurité trop grandes… c’est ça une usine qui ferme, il n’y a pas toutes les
pointures dans les vestiaires.
Après une journée en bleu de travail à tenter en
vain d’être crédible, je repartais, chargé de plans et de photos. Je serrai la
main de Daniel, repris ma voiture de location en direction de la campagne, n’importe où, comme si j’avais le temps,
comme pour rattraper un peu mon dimanche. Et le soir, dans mon lit, mon
optimisme reprenait le dessus et me forçait à croire que la journée n’avait pas
été si mauvaise que ça, que c’était enrichissant et que j’avais appris plein de
choses. Mais au fond de moi, je savais bien, que c’était du théâtre et que
j’étais le propre acteur qui tentait de me jouer une pièce où mon travail serait
ma passion, ce n’était pas le cas, et je m’endormais en chantant Santiano, le
comble ! Il pleuvait, je l’entendais. L’automne, par la fenêtre battait
son plein.