Chacun rate sa vie comme il peut 5
Lena
eut un haut le cœur. Adossée à la porte de la salle de
bain, ses jambes la retenaient à peine. Quelques heures plus
tôt, c’est Gaël qui avait dû aller à la
pharmacie pour l’acheter, Lena n’osait pas. Gaël avait
l’habitude, c’est la deuxième fois qu’il y allait pour
la même raison en quelques mois. La pharmacienne lui expliquait
toujours le mode d’emploi à pleine voix et lui criait les
recommandations d’usage, ainsi tous le regardaient d’un drôle
d’œil. Il avait 22 ans.
Les doigts dans la bouche et bientôt sans ongles, incapable de rester serein sur le canapé vert, il remuait ses jambes frénétiquement. Il n’osait pas faire un bruit, rien dire, rien demander. Lena, le dos contre la porte, que les petits sanglots faisaient trembler, tenait le bout de plastique. Il était sur le « plus », elle était enceinte. Elle ouvrit la porte de la salle de bain en larmes et se jeta dans les bras de Gaël. Elle suffoqua quelques mots dans son oreille pour ne lui laisser aucun doute. Avant ça, il avait déjà compris et lui, était soulagé de savoir, lui était maintenant serein et sûr de lui. Il avait de la peine pour Lena, qu’il voyait souffrir et se sentait coupable d’être moins chamboulé qu’elle. Il la rassura en disant que ce n’était pas un problème, qu’il y avait des solutions à tout. Trop sûr de lui et de son choix, Lena senti comme un coup de poignard. En même temps elle savait qu’il avait raison. Partagée entre son sentiment profond et cette parole trop raisonnable, les paroles de Gaël ne lui firent pas de bien. Si, il était doux, il était là, il était agréable. Il était presque parfait. Et il avait raison. Comme quand un ami vous donne son avis logique alors que vous avez un problème, c’est lui qui a raison, mais malgré ça vous savez déjà que vous ne l’écouterez pas. Lena savait. Elle entendait clairement les mots de Gaël mais plus les secondes passaient, plus elle culpabilisait et plus elle sentait l’occurrence d’un choix à faire. Ce choix si logique, si pragmatique, si raisonnable qu’elle aurait à faire lui faisait terriblement mal. Quoi qu’il en soit, elle savait déjà qu’elle le ferait. Elle connaissait l’issu de ces questionnements, mais le simple fait qu’il y ait un choix, et un choix si définitif et tellement déterminant dans sa vie, la rendait malheureuse. Du rien d'il y a quelques semaines, était apparu un « plus » sur une languette plastique, et ce plus changeait tout, il faisait naître un choix, une vie, une vie pour elle aussi.
Elle était très amoureuse au point de croire que c’était, comme les filles peuvent rêver parfois, le bon. Mais elle était trop jeune, pas capable, elle n’avait pas envie aussi, de sacrifier toutes ses sorties, sa liberté pour ce « plus » et tout ça, oui mais… Oui mais Gaël, ses sentiments, et cette vie possible, et son baptême et sa mère, la sienne, ses amis, Nicolas, Julie, Béné, tout se bousculait. Elle n’écoutait plus Gaël, qui continuait de parler, de la rassurer, de lui dire des mots tendres. Elle ne s’entendait même plus penser dans ce brouhaha des idées. Gaël parlait dans le vide, c’était facile pour lui. Lui totalement dénué de sentiment à propos de la languette, lui ne ressentait pas ce qu’elle éprouvait, lui s’était blindé, n’avait même pas visualisé le choix, n’avait qu’une idée et qu’une solution en vue depuis le départ. Il restait pragmatique et sans équivoque. Rendez vous chez le médecin… et tout ça. Il tenait la main de Lena et ne la lâchait plus. Leur tension mutuelle amplifiait le tremblement des mains trop jointes. Lui n’était pas vraiment mieux, il essayait d’être pragmatique et raisonnable et surtout de ne pas se laisser imaginer autre chose que leur bonheur actuel dans lequel ils se sentaient si bien. Il aimait Lena par dessus tout, alors il ne lui lâchait pas la main et tentait d’avoir des phrases rassurantes. Lena, ne voulait pas les écouter, mais aimait les entendre. Sentant il venait de finir une phrase interrogative, Lena hocha la tête à regret, en signe d’approbation. Son cœur était confus. Il la prit dans ses bras. Un peu calmée par la tendresse et la détermination de Gaël, Lena était plus sereine et le doute avait disparu. La main de Gaël dans ses cheveux, Lena assise sur le canapé vert devant la table basse bordélique et une télé d’ambiance pour l’occasion, Léna reprenaient son souffle et ses esprits.
Gaël
repensait à ce soir là. Il avait été si
nul, tellement le désir était grand. Lena y songeait
aussi, la soirée avait été si romantique, simple
mais belle, Gaël avait été si attentionné,
si agréable et drôle. Et surtout leur câlin si
spontané. Gaël ne l’attendait pas comme il attend
parfois un câlin programmé parce qu’on est samedi
soir…Après trois semaines de lassitudes et de doute de Lena,
Gaël n’avait rien attendu, et tout était venu, comme
les premières semaines. Cette nuit là leur avait offert
un « plus » sur un barrette plastique, et elle
devait décider elle, que ce « plus »
resterait un signe mathématique. Étant sûre de ça
décision, elle ne s’y résolvait pas.
Ils
avaient eu ce genre de discussion qu’ont les jeunes couples juste
pour rire, ou pour se connaître un peu, juste comme ça.
Eux étaient tombés d’accord sur Edwige pour une
fille. Pour un garçon, ils n’avaient pas trouvés.
Léna ne dormait pas.
Le
lendemain elle appela son meilleur ami qui lui dit de faire un choix
avec son cœur. Et sa meilleure amie qui était rationnelle et
calculatrice, avec chiffre et expérience personnelle à
l’appui. Elle était comme le sont les filles et surtout
comme doit l’être une amie dans un telle situation.
(J’ai
le sentiment que les filles sont plus réalistes en général,
et les garçons plus fous, plus rêveurs. Et que les
filles sont toujours en manque de rêve, à cause de leur
caractère propre de fille. Et donc, elles vont en règle
général vers les garçons qui leur apportent ces
rêves. C’est pour cette raison, qu’une fille semble se
lasser plus vite du quotidien d’un garçon. Un garçon,
lui , va se lasser pour d’autres raison, la présence
excessive, les caprices, la venue d’une autre fille plus jolie
(enfoirés !!!), mais peut être que c’est vraiment
du sexisme tout ça).
Malgré
tous les mots, malgré toutes les certitudes, le choix était
forcément terrible. Lena évoqua le choix à Gaël,
lui qui s’y était toujours et d'emblée refusé.
Incompréhension, refus, vexation, énervement furent ses
seules réactions, lié par de la tendresse et de
l’amour. Ce fût un choc terrible pour Lena. Une remise en
question du couple, qu’elle ne partagea pas. Et pour cause, ceci
s’estompa. Et elle comprit.
Neuf
mois plus tard, Lena ne regrette rien, Son choix était le bon,
elle le sait, mais elle y repense encore, quand même. Une main
sur son petit ventre tout plat, presque trop plat, elle verse une
larme, du coin de l’œil jusque sur le coté du menton. Elle
ne l’essuie pas comme pour ne rien arrêter, comme pour
laisser passer son doute, son coup de blues passager. Qu’est ce
qu’un « plus » après tout, si ce n’est
qu’un choix terrible à faire, une épreuve, une
projection, une perspective avortée. Il y a des choses qui ne
sont pas, et qui ne nous manquent pas. Puis elles deviennent, elles
apparaissent comme un choix possible et refuser ce choix devient un
cauchemar.
Gaël rentre, Lena à une larme au coin de l’œil.
Qu’est ce qu’il y a ma puce ? il lui fait une bise sur le front.
Fait moi une vraie bise, je suis pas un chien, ça fait neuf mois, et j’y repense. Mais je t’aime. Il s’exécute, s’excuse, prend sa main dans les deux siennes, et tente de digérer le reproche qui lui est fait. Pas la bise, mais bien le mais !
Chacun rate sa vie comme il peut. Chacun décide, essaye choisit.