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Antxoka space
12 avril 2007

Chacun rate sa vie comme il peut 4

IV

 

 

Maud, petite brune toujours souriante, je m'en souviens bien.

 

Elle sortait de l'immeuble, le 12. C'était la troisième porte de l'immeuble. Au 10 parfois, Thibault sortait à ce moment. J'aimais bien Tib, mais avoir Maud pour moi seul, pendant les trois minutes qu’il nous restait pour atteindre le collège était un tel bonheur, que quand je voyais Tib sortir, j'avais toujours un petit pincement de déception. Heureusement pour moi, Maud était ponctuelle et Tib souvent à la bourre.

 

Avec Maud on discutait de tout et de rien, du prochain cours, du dernier devoir, de l'exo de math; elle était forte en math, c'était la plus forte des filles.

 

Les filles n’étaient pas très fortes, en règle générale. Je crois que culturellement, les garçons avaient une grosse pression sur les maths, et les filles elles, beaucoup moins, comme si la société n'attendait pas les mêmes compétences d'une fille que d'un garçon. La tendance était inverse en matière littéraire. Nous garçons, n'étions pas sensés exceller en la matière. Bref, j'étais bon en Français et Maud en math, un peu comme de rebelles de la société, nous nous sentions bien tous les deux. Enfin, je me sentais bien avec elle. Comment savoir si ce fût réciproque, ça n'avais pas d'importance, elle souriait toujours, comme si la vie sur elle était simple.

 

Je me suis demandé un jour, des années plus tard si elle souriait toujours comme ça, ou si la vie et le passage à l'age adulte avaient effacé son sourire comme celui de bien des gens. Moi le sourire je l'avais toujours, surtout en repensant à elle. Comme parfois on se surprend avec un sourire bête, seul devant la télé. Ou quand parfois, on voit des gens perdre leur sourire progressivement, en faisant une mimique crispée, qui s'efface petit à petit. Quelle que soit la vitesse à laquelle on arrête de sourire, il faut bien passer de l'état souriant à l'état normal. Et cela ne se passe jamais sans un visage tellement naturel qu'il en devient hideux, si on y prête attention. Quoiqu'il en soit, la veille de voir Maud dans la rue, j'avais pensé à elle, je ne sais pour quelle raison, et j'avais souri bêtement. Quand je l'ai vue, apogée de l'histoire des coïncidences (je sais j'en fait beaucoup là, vous préférez: grande coïncidence !) je l'ai vue sans son sourire. Je n'osai l'approcher, ni lui parler. Parfois on regrette ce genre de lâcheté et se manque de courage. J’ai regretté. Parfois, ce n'est pas de la lâcheté mais de l'orgueil, on espère que c'est l'autre personne qui va venir à nous, on espère que l'envie de nous reparler sera plus forte que la timidité et l'éloignement des années.

 

Le lendemain, quand je l'ai revue, big-bang des coïncidences… au même endroit, à quelques mètres prêts, je lui tapotai sur l'épaule et dans un sursaut, elle se tourna et me reconnut tout de suite. Elle sourit, et ses yeux souriaient aussi.

 

Comme avant, plus de dix ans déjà.

 

Les semaines qui suivirent furent terribles. Terribles comme les jeunes disent "terrriiible". Elle souriait toujours, elle était toujours avec moi, nous courions sans cesse les deux yeux fermés en des soirs chauds d'automnes, je respirais l'odeur de son sein chaleureux, nous voyions se dérouler des rivages heureux, qu'éblouissaient les feux d'un soleil terrriiible, pleins de parfums exotiques à la Baudelaire et des sourires d'adolescents. J'avais fait des études scientifiques, et elle des études littéraires, comme quoi la société nous avait rattrapés. Dans un grand moment de folie, j'avais acheté une bague, une bague terriiible… Je m'étais agenouillé comme dans les films. Elle souriait. C'étaient les vacances et j'étais en tenue de ski, au milieu d'une montagne, de la neige jusqu'à la taille. Quand elle dit "oui", avec son sourire terriiible…

 

Aujourd'hui, elle est face à moi, et elle pleure, elle ne sourit plus, elle m'aime, mais l'a embrassé. Son collègue, oui, elle avoue, elle ne sait pas pourquoi, elle ne veut pas que ça cesse entre nous, elle ne veut pas, elle m'aime, elle hurle, elle me dit de la regarder, de ne pas l'ignorer. Je refuse ses paroles, je refuse sa main, je refuse tout d'elle. Et je ne me demande pas si ça a de l'importance, si c'est grave ou non, je n'écoute pas tout ce qu'elle me dit. Je suis déçu certainement mais je ne m'en rends pas compte, je suis énervé évidemment, mais je le savais, j'étais prêt. Je ne me dis pas que je la déteste, puisque je l'aime. Je me dit que l'amour que je lui porte c'est entre elle et moi, et que les autres n'ont rien à faire là. Elle me répète des tonnes de fois de l'excuser. De l'excuser de quoi? Je la vois en larmes et l'amour que j'ai pour elle, avec l'épreuve qu'elle vient de me faire subir, me fait apprécier la situation. J'ai envie de la voir pleurer, supplier. D'un coup, me revient cette image, celle de la collégienne, celle de son sourire. Ce n'est pas ces larmes que j'aime, ce sont ces plis, sur le bord des yeux, et son sourire. Je cherche un truc, une phrase, pour qu'il revienne le plus vite possible. Mais j'ai trop mal, pour l'instant.

 

La vie est elle seulement un sourire? Le bonheur est il toujours dans le sourire ou dans la quête du sourire? 

 

La bonheur est il la réalisation de ses rêves où la quête de ses rêves.
A l'époque de Maud la collégienne, je jouais encore aux lego. Une fois construit, je détruisais tout.

 

Vais-je pouvoir reconstruire?

 

Chacun détruit sa vie comme il peut.

 

- Sèche tes larmes ! Je m'en fous !

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Commentaires
L
... et à son lien pour ton blog, je découvre tes textes. Celui ci a ma préférence... il est extrêmement touchant.C'est avec plaisir que je repasserai te lire à l'occasion!
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G
Dans ce textes, j'ai glissé un petit commentaire à la correction... que tu n'as pas retiré avant de le mettre en ligne! j'epère que c'est le seul!!!
Répondre
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