En petite foulée vers nulle part
La chaleur
suffocante des jours passés avait laissé
place à de gros nuages menaçants, et un vent puissant et trop bruyant pour être
vrai. Fred, assis sur son canapé, à
l’abri, pensa un instant qu’ils avaient ajouté des effets spéciaux au vent. Pas
possible, d’abord qui aurait ajouté ces effets spéciaux ? Fred ne croyait
pas en dieu, et savait qu’aucune association de quartier n’aurait pu investir
dans un tel Sound système, alors qu’une année de crise financière mondiale
avait suffit à fermer pour un bon moment le robinet des subventions pour
ce genre d’événements culturels… Le bruit du vent était donc bien réel et Fred
pris conscience de l’absurdité de sa réflexion. Apparemment, il commençait à
être vraiment désemparé dans son appartement serré, et encombré d’objet de
consommation de toute sorte. Fred pris la télécommande de la télé et réussi
enfin à faire ce geste salvateur, éteindre. Le bruit de la télé qui s’éteint le
replongeât dans son imaginaire fantastique nourrit d’image de la guerre des
étoiles. Il se senti plein de force et tellement désœuvré qu’il chaussa ses
baskets pour aller courir. Ah si Catherine l’avait vu avec son petit short et
ses baskets blanches…
La porte de l’appartement claqua, Fred chercha ses clefs,
pour savoir s’il ne s’était pas auto-enfermé dehors. De nombreux Clochard ont
commencés ainsi parait il, en oubliant les clefs à l’intérieur. Il descendit
l’escalier en marchant. En sortant de l’immeuble, se retrouvant dans la rue,
Fred se trouvait face à l’absurdité de commencer à courir. Vu qu’il courait
sans but, à partir de quand devait il commencer à courir, que diraient les
passant aux alentour en voyant un marcheur se mettre à courir, penserait-il que
c’est un voleur qui tente d’échapper au propriétaire
du magasin, serait-ce un homme pressé de partir ? Surement l’amant d’une
femme du quartier dont le mari serait sur le point d’arriver d’une minute à
l’autre et qui se poserait des questions en voyant son collègue de boulot prés
de chez lui alors qu’il était sensé avoir pris son après midi pour aller voir
sa grand-mère souffrante au sud de la ville. Fred se mit à courir, en pensant
encore à comment les gens autour devaient le percevoir passant de l’état de
marcheur à coureur. En réalité, les gens s’en fichait pas mal, lui aussi, mais
il adorait penser avec sincérité à des choses absurdes, c’est tout lui.
Catherine ne le suivait que très rarement dans ses délires, tant et si bien, qu’il
ne les partageait plus beaucoup. Monsieur S et Oufman étaient loin et devaient
avoir leurs propres délires solitaires. Vivement qu’ils se retrouvent tous les
trois pour partager la même histoire sans queue ni tête. Fred se sentait
vieillir, ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas divagué ainsi. Ça lui
faisait plaisir d’en être encore capable. Il avait l’impression de rentrer de
plus en plus dans le moule et à force de vouloir y rentrer il devenait lui
aussi, moulé ou modelé, enfin comme les autres quoi. Il avait beau se dire :
« je rentre dans le moule mais ce n’est qu’un jeu, qu’une façade »,
pour y rentrer il avait dû briser un peu de folie, enterrer un peu de rêve,
devenir un peu plus neutre, insipide et plat. Et il voyait depuis quelques
mois, que son cerveau ne divaguait plus comme avant, son cerveau était moulé, modelé.
Cette petite course à pied lui faisait du bien, chaque pas oxygénait son imagination,
à chaque pas il redevenait un peu lui-même et un peu moins le Fred sérieux,
celui qu’on connaissait au boulot. A chaque pas il sentait l’utopiste monter en
lui, l’ado, le rêveur qu’il était encore au fond. C’est peut être pour cela que
beaucoup de cadres dynamiques courent se dit Fred. Jusqu’alors, il avait cru
que la plupart des joggers faisaient ça pour se la raconter, ou pour garder la
ligne, où enfin parce que c’était un sport efficace et pratique. Courir sans
but, et sans rien voir, se concentrer seulement sur son souffle, sa foulée et
sur des idées absurdes.
En fait, tous les gens qui courent sont des gens qui
sont trop vite rentrés dans le moule et qui veulent se vider la tête, pour
rester jeune et libre d’esprit. Oui mais alors, le fait même de courir ne
serait-ce pas une étape de plus dans cette standardisation ? Fred s’arrêta
de courir. Puis il continua quelques mètres, jusqu’à ce banc. Et finalement
pourquoi ne pas s’assoir et regarder les autres en petite foulée vers nulle
part.