Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Antxoka space
30 juillet 2010

Reykjavik transfert

Reykjavik est une ville surprenante finalement. C’était la première fois que j’y passais. C’est une ville très calme, au mois de juin. Le soleil brille jusqu'à minuit passé. La nuit ne tombe pas. La ville toujours sommeilleuse ne dort jamais. J’avais froid avec ce vent glacial malgré le soleil et le ciel bleu. J’avais pourtant une veste, de très mauvais gout d’ailleurs ; d’un rouge tirant sur le bordeaux. En sortant de la salle de transfert c’était la première chose que j’avais remarqué, le vent et cette veste minable. J’étais en troisième classe. Qu’importe j’étais là pour le boulot ! Depuis le temps que je voulais venir. J’avais aussi des grosses chaussures de randonnées. Pas possible d’aller travailler avec. Je me rendais donc à l’espace accessoire du port de transfert, demandais une paire de chaussure, un pantalon noir, une veste. La dame pris les mesures, retourna dans l’arrière salle et revint avec tout ce qu’il faut pour une journée, mes habits, et un kit de toilette. J’avais très envie de me brosser les dents, j’avais l’impression de ne pas sentir bon, et aussi d’avoir une langue trop grosse pour l’espace disponible dans ma bouche. Il fallait toujours un temps d’adaptation.

Ce jour là, c’était mon premier transfert de l’année. L’été dernier, j’avais chopé une interdiction de voyager en première ou en seconde classe pendant un an, à cause d’un soi-disant abus lors de mes vacances précédentes. J’avais « sur-fatigué » mon corps. Mouai, s’ils le disent ! Ce n’est pas de ma faute si j’ai des insomnies, si j’aime l’alcool, courir et faire l’amour. Puis au prix qu’il m’avait couté ce voyage au pays des pirates, ils auraient pu faire un geste.

C’est une femme qui m’avait accueilli à l’arrivée et m’a décerné l’amende et l’interdiction. D’habitude ce ne sont que des hommes. Les femmes dans les métiers « dits » d’hommes sont souvent plus dures, elles ont quelque chose à prouver, qu’elles sont aussi fortes, aussi brutes, aussi radicales aussi connes que les hommes. Finalement elles le sont plus parfois, mais elles font parfaitement leur métier. Je suis reparti avec une bonne amende, l’interdiction et l’expression de son plus grand mépris. Cela dit ce voyage en 1ère classe dans les îles m’avait réconcilié avec la vie. Ludmila était allemande, je l’avais d’abord cru Guadeloupéenne, parce qu’elle n’avait ni d’appareil photo ni l’attitude d’une touriste. Elle était assise dans ce bar aussi naturellement que les habitants du coin. Elle buvait un jus de pomme, ce qui aurait dû m’alerter. J’avais d’abord mis de longues minutes à m’assurer de l’effet que produisait mon physique à son regard. J’avais mis de longues minutes à me sentir à l’aise, à être sûr de moi. Quand son regard gêné à croisé le miens, elle le détourna, laissant place à des coups d’œil furtifs. Cela ne m’arrivait jamais à Anglet, avec ma beauté quelconque au milieu de tous ces surfeurs. Là j’étais beau, le teint mat, l’allure sportive, tout pour plaire. Je lui proposais de manger avec moi, puisque nous étions tous les deux seuls, elle accepta presque sans dire un mot, juste en acquiesçant d’un mouvement de tête et d’épaule. Puis elle prit son verre, vint à ma table. Un serveur déplaça les couverts, amusé. On parle souvent de la beauté intérieure, on parle de la puissance des mots, de l’aura, de l’âme d’une personne. Ce sont des foutaises. Avant même qu’elle ne vienne à ma table, sans savoir si elle était bête comme la tour de Pise ou si j’étais idiot comme un balais mort, nous savions tous les deux que nous aurions une chambre de trop ce soir. Je ne me souviens pas avoir fait d’effort dans la conversation, je n’ai usé d’aucune stratégie de séduction. De toute façon, je n’en avais pas. Je n’ai presque pas fait d’humour. Ce qu’elle prit pour de l’humour était seulement les symptômes de ma maladresse. J’ai tendu ma main vers elle, elle ne l’a pas enlevé. Nos mains ont tremblées un peu avant que nos lèvres se rejoignent. Elle et moi voulions manger un dessert avant la suite et nous attendions le dénouement du menu avec un désir exponentiel et une frustration démentielle qui serait bientôt assouvie, nous le savions. Dans l’ascenseur pour rejoindre la chambre, nous décidions de prendre la mienne, la 212, un étage de moins.

Je fus un peu surpris par mon corps en action, comme quoi, la réputation n’est pas si fausse. J’essayai d’être délicat. Ce qu’elle me reprocha la deuxième fois. La troisième fois elle n’eut pas besoin. Ah les Allemandes ! Tout dans nos gestes reflétait une grande frustration entrain d’être assouvie. Le minibar était vide, et j’avais senti l’amende arriver. Ludmilla repartait le lendemain. Nous échangeâmes nos mails. Et nous nous dîmes sans conviction que nous nous reverrions peut être un jour. Elle m’avoua n’être pas aussi désirable d’habitude… Je m’en doutais.

J’étais né dans le culte de la beauté, elle aussi, et nous savions d’avance que nous ne prendrions jamais le risque de nous revoir. Dans notre société, la laideur n’a aucune place. Et finalement, tout le monde s’y fait, tristement.

Le procédé du transfert était assez récent, mais très vite, après les premières appréhensions passées, il était devenu très à la mode. A présent à peine plus cher qu’un billet d’avion, une personne pouvait prêter son corps pour les vacances ou pour d’autres raisons, en l’échange d’un autre corps. Un peu comme on loue une voiture, la personne voulant un corps de prêt devait le réserver à l’avance pour une période donnée. Elle avait le choix de louer le siens ou non, de choisir la catégorie de son choix, moyennant bien sûr des surcoûts. Tout était transféré, et sans séquelle. Il était plus rare d’en ressortir avec des séquelles que de mourir d’un accident d’avion. Et c’était surtout, très écologique. Tout était chargé d’un continent à l’autre par fibre optique ou même par satellite. Le contenu entier de la mémoire, du caractère, bref, tout son être pensant. Pour éviter les abus, une puce était installée dans le cerveau afin de pouvoir constater les faits et gestes des personnes empruntant un corps, mais rien ne filtrait à l’extérieur du comité de surveillance. Certains personnages politiques ont parfois été demis de leurs fonctions peu de temps après des voyages en « transfert »  et sans raisons évidentes. Il n’y avait donc qu’assez peu d’inconvéniants et chacun pouvait vivre pour quelques instants dans des corps différents, c’est quelques chose de grisant. Pour l’instant le comité refusait les transferts inter-sexe, ont était donc sûr de se retrouver dans un homme si on était un homme, mais pour certains la tentation était grande, et le marché noir des transferts commençait à s’installer. J’adorais le transfert, mais sans rejoindre les antis, j’avais peur de l’étendu de ces possibilités. Vous croisez un ami, ce n’est pas forcément lui…

         

Presque un an plus tard, j’étais en Islande dans un corps de troisième classe, pas très beau, trapu, et mon nouveau visage était marqué par les années. J’étais là pour le boulot de toute façon. Dans la rue, quelqu’un m’arrêta et m’interpella en Islandais. Je compris un truc du genre : Hallo Gremlinson verniguert pu ? « No, I am in transfert » répondis-je.

L’islandais passa son chemin sans un sourire. Reykjavik était une petite ville, ça m’arriverai surement encore d’ici demain. Finalement je n’étais pas mécontent d’être dans un corps de troisième classe, je serais surement un peu moins connu.

En France, j’ai un corps de deuxième classe, mais au début l’organisation des transferts m’avaient classé en 3. J’ai dû faire un sérieux régime et de la musculation pour pouvoir être en deux. Dans la salle de bain de l’hôtel, je n’arrêtais pas de fixer le miroir et de faire des grimaces. J’étalais de la crème hydratante sur « mon » visage, il n’en avait surement jamais eut avant. Demain soir, je serais chez moi, dans Mon corps. C’était tellement dur parfois de retrouver son vrai corps après 3 semaines de vacances dans un corps de première. Là, au moins, je serais ravi de rentrer c’est sûr. On n’est jamais mieux que dans son corps, comme dit le proverbe.

Le lendemain, avant le transfert, je pensais très fort et me répétais dans « ma tête » : j’aime les hommes, j’aime les hommes. Je savais pour l’avoir lu sur internet que la dernière pensée qu’on a dans un corps est souvent la première que la personne ressent en le récupérant. Et ça me faisait tellement rire !

Publicité
Commentaires
N
j'avais pas pris le temps de le lire celui là encore ... <br /> <br /> Très sympa cette idée, et plutôt bien mise en scène dans ton texte.
Répondre
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité