L'automne battait son plein 3
S’il faut que nous vivions ce genre d’expérience pour réussir dans la vie, j’aurai toujours un goût amer. Samedi soir, le dos tourné à mes amis, j’attendais que le temps passe. Je les entendais rire derrière moi, se chamailler aussi, puis m’interpeller : Antoine, tu fais la gueule, t’es aigri parce qu’on a débarqué chez toi ce matin pendant ton petit déj ?
Non, je suis malade, juste malade, j’ai mal à la tête, j’ai le nez bouché, j’ai la gorge en vrac et on a un concert dans 1 heure alors que j’ai qu’un seul rêve, me coucher ! Ah bon, mais ça va aller non ?
Ça me faisait chier qu’ils minimisent le truc, comme ça, en même temps je n’avais aucune envie de me plaindre. Quoi que … mais là, j’avais vraiment la rage. Je savais que j’avais abusé de ma santé ces derniers jours, ça faisait une semaine que je n’avais pas eu une nuit de plus de 6h30 de sommeil. A force de tout accepter, à force de courir pour ne pas m’engourdir, je sentais ce rhume latent me submerger. D’habitude il attend que je me relâche, il attend que je me détende pour attaquer. Là, j’avais trop tiré sur le fil, et il m’avait fait un plaquage non réglementaire, le jour d’un concert important et la veille de partir à Toulouse pour le boulot ! Je buvais un dernier verre d’eau. Mangeait une mandarine, gracieusement offerte par Pauline. Le groupe de métal d’avant nous venais de terminer, ma basse était accordée, ma voix… ça irai, disais-je au batteur. Durant cette heure je n’ai jamais autant transpiré de ma vie, j’avais l’impression d’avoir mené un réel combat, que je gagnais au final, non sans mal, à la gorge, à la tête. La dernière chanson arrivait et je sentais ma voix et mon corps se dérober. Heureusement, quelques personnes, dont des amis fidèles, applaudissaient. Ils applaudissaient tant et si bien qu’ils se mirent à faire ce claquement caractéristique, un peu plus lent que l’applaudissement premier, celui qui veut dire « revenez ! » Je rêve d’entendre un jour cette clameur propre aux français, se truc débile du oh oh oh oh oh qu’ils balancent à chaque concert. Là déjà, c’était bien, ils tapaient des mains, comme un rappel. J’avais déjà débranché ma basse, le batteur en train de descendre de scène me lançait un : « Antoine, tu te sens capable ? »
J’allais rebrancher ma basse, sans hésitation et sans penser à moi. La chanson fut un supplice, mais j’aimais ça. Sûrement mon coté masochiste. Ou alors, c’était par amour pour mon dicton tiré du Cid : A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Et puis cette soirée contre la leucémie, c’était un peu une soirée particulière pour moi, comme une soirée où j’aurais dû être en forme, parce que n’ayant pas le droit d’être à plaindre. Je pensais à mon frère en descendant, à mes deux frères que j’aime. Et j’étais content d’avoir tenu jusqu’au bout pour eux, et pour tous ceux qui étaient venus là, même s’ils n’étaient pas si nombreux. Pour moi c’était comme à Bercy ou l’Olympia. J’étais complètement là. Et j’avais chanté le courage et ma haine de perdre. Je n’étais pas complètement satisfait mais quand même content de moi, ce qui est rare. Vite rentrons, je veux retrouver mon lit. Une fois à l’intérieur, planqué sous mes 2 couettes sans housse parce que j’avais la flemme de les mettre, je me disais allons, demain, tu pars à Toulouse, il faut dormir. Juste avant d’éteindre ma lampe, j’entendis le bip discret et la vibration fine de mon portable. Le message d’une très bonne amie disait à peu prés : Le concert était sympa, repose toi tu as l’air vidé. Je l’étais et m’endormis avant une dernière pensée : S’il faut que je vive ce genre d’expérience pour réussir dans la vie, je le ferai mille fois. Demain l’avion décollait à 18h35, je devais partir de chez moi à 16h30 ! Le dimanche s’annonçait court. Et l’automne, par la fenêtre battait son plein.