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Antxoka space
25 septembre 2007

Le clochard et la fille 4

Le clochard c’était moi tout compte fait. Je n’avais pas de maison. Je n’avais plus d’ami. Je surfais sur la vie comme on boit un café en terrasse. Paisible. Le clochard en bas de chez moi parlait tout seul pour oublier de vivre, je vivais à cent à l’heure pour la même raison. Et je cherchais désespérément des brins de liberté, ne voulant voir la réalité en face : La vie n’est que contrainte et frustration ! Ma vie était minutée, cadrée pour que je ne puisse plus penser à cette liberté tant rêvée. Le moindre signe, le moindre espace qu’il me restait, le moindre instant solitaire me plongeait dans une profonde tristesse et me donnait soif. Il suffisait d’une seule chanson au hasard, pour que tout me manque, pour que tout me frustre. Le clochard c’était moi, un peu perdu, mais quand même là, incompris et indésirable.

Après plusieurs années comme ça, à vivre en courant, à vivre sans élan, je m’étais habitué et mon ventre se tordait sournoisement, comme pour me rappeler à l’ordre. Il cognait sans cesse, sans que je ne le remarque, il se tordait pour que je change de direction avec lui. Mais j’avais peur de tout quitter, j’avais peur de ne pas savoir que faire, j’avais peur d’être seul et de n’être jamais content. Donc je restais là, à combler le vide de mon existence pâle. Je m’occupais et comblais chaque interstice de vie. Le clochard en bas de chez moi s’était réfugié dans la vinasse bon marché, moi, dans la suractivité. J’avais loupé de nombreuses occasions d’amitié sincères, et de nombreuses perspectives d’amour à force de ne pas être là, à force de ne pas avoir de temps, à force de ne pas vouloir d’espace.

Un vendredi soir en arrivant chez moi après une semaine de ministre, j’avais en tête un vieil air de Balavoine, « et pourtant il faut vivre ou survivre, sans poème, sans blesser ceux qui nous aiment… être heureux, malheureux, vivre seul ou même à deux». Et sans aucun rapport je réalisais que je n’avais rien prévu pour le soir, ni pour le weekend. J’envoyais à quelques amis un sms de détresse, mais eux ne comptaient plus sur moi puisque je n’étais jamais là. Je n’eus pas vraiment de réponse. Je restais là, à penser, pour une fois, depuis de longs mois, et j’étouffais. Je suffoquais et me mis à lire mais ça ne suffisait pas. Le sommeil vint finalement en espérant un lendemain moins clôt.

Je claquais la porte de la maison, j’allais me balader, sifflotant cet air triste. Je montais dans la montagne rouge, celle qui n’en finit pas. Les autres avaient des ampoules mais pas moi. J’avais soif de tout quand eux voulaient de l’eau. Les yeux écarquillés, je respirais à plein poumon. Les autres avaient envie de rentrer mais pas moi. Je n’avais plus de contrainte ici, je n’avais plus de liberté puisque c’était de la liberté en lingot sous mes pieds. Et surtout j’étais avec La fille. La même que les autres fois. La même que toujours. Et elle riait tellement. Quelle coïncidence de la retrouver là. Je l’avais laissée à un arrêt de tram, je la retrouvais là. Un peu changée, mais avec le même sourire et la même beauté du regard. Au dernier soir, je l’avais laissée sans rien dire, avec un clin d’œil, comme pour lui dire que je l’aimais mais sans lui dire, sans oser, sans même m’en rendre vraiment compte. Je l’avais laissée sans la lourdeur des séparations. L’avion décollait pour mon retour à la vraie vie. La frustration de ne plus la voir était immense et ma sensation de liberté se réduisait au fur et à mesure que les voyants de ceintures s’allumaient et s’éteignaient.

Rien n’avait vraiment changé si ce n’est que j’étais amoureux (l’étais-je ?) et que je savais de nouveau rester seul et sans rien faire. Un clochard amoureux ! C’est ridicule. J’avais une envie maintenant. Les vents accompagnaient sa démarche dans les méandres de mon crâne, et je poursuivais mon chemin les yeux grands ouverts.

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Commentaires
A
Il est là
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L
Ben elle est où la girafe proustienne?
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